« Faire maisonnée, c’est le terme que j’ai choisi pour désigner des relations suivies, précises, denses, organisées autour de la subsistance commune. […] faire maisonnée c’est partager de la quotidienneté. […] Les maisonnées […] constituent un mode de regroupement humain fondé sur la cohabitation résidentielle de genres et d’âges distincts, apparentés et non apparentés, incluant une cohorte d’animaux, de plantes domestiquées et d’animaux, mais aussi tout un périmètre qu’en permaculture on qualifierait de « zone sauvage ». Geneviève Pruvost, « Pour un écoféminisme de la fabrique collective : géopolitique de la maisonnée », Françoise d’Eaubonne, Ecologie/féminisme, Le passager clandestin, 2023.

Marie Preston, Reliure après arpentage, Osier et saule, 2023. Photo : Marie Preston
Maisonner se propose d’une part d’enquêter artistiquement et socialement par le prisme de l’écoféministe sur les pratiques de subsistance à Montbard, ville de 5000 habitant·e·s, situé en Bourgogne-Franche-Comté et d’autre part sur la manière dont une pratique artistique coopérative participe d’une éducation populaire. 

Maisonner est une résidence de territoire portée par la MJC André Malraux qui consiste à faire collectif, réseau d’entre-aide, à mutualiser nos outils et savoirs, à partager les tâches de subsistance sans distinction genrée. Que nos milieux de vie soient ruraux ou urbains, il s’agit de considérer le travail domestique en dehors de son industrialisation. Quelles activités quotidiennes de subsistance et ancrées dans un milieu de vie humain et non-humain existent à Montbard et dans le Montbardois ? Quels savoirs vernaculaires continuent d’être transmis ? Quelle est la place des femmes dans ces pratiques ? 

La subsistance est décrite par la sociologue allemande écoféministe Maria Mies comme « le travail servant à la création, à la perpétuation et à l’entretien direct de la vie sur Terre et qui n’a pas d’autre objectif que lui-même ». Né au milieu des années 1970, l’écoféminisme est un courant de pensée qui considère que la crise écologique est reliée structurellement au système patriarcal, que la destruction et le pillage des ressources naturelles sont concomitants des différentes formes de domination que subissent les femmes. L’urgence climatique nous oblige aujourd’hui à repenser et à transformer nos pratiques quotidiennes, incluant les pratiques artistiques. 

Citation de Florence Weber, dans Julien Ténédos, Florence Weber, L'économie domestique. Entretien avec Florence Weber, Ethnographie du quotidien, Tome 1, Aux Lieux d'être, coll. « Entretiens », 2006.
 
La résidence se construit de manière coopérative avec différents groupes : l'équipe de la MJC, un groupe de collégien·ne·s, Bricoll'art et un collectif d'habitant·e·s du quartier du Faubourg. Il s’agit d’aller ensemble à la rencontre de milieux de vie et d’écouter des récits d’activités pour faire recherche et art en commun. 

*

Maisonner à la MJC

Depuis novembre 2022, un groupe de lecture s'est constitué autour de la résidence, à partir d'un premier livre Quotidien politique de la sociologue du travail Geneviève Pruvost. Nous utilisons la méthode dite de l'arpentage (méthode de lecture collective d'éducation populaire issue de la culture ouvrière) pour lire et comprendre collectivement un ouvrage. Le premier arpentage nous a permis de préparer collectivement la rencontre avec l'autrice qui a eu lieu le 23 janvier 2023 à la MJC afin de débattre autour de son livre.

Le second livre choisi est "Rêver l'obscur : femmes, magie et politique" de Starhawk est en cours de lecture.

 
 
Arpentage de Rêver l'obscure, 2 février 2024
Rencontre avec Geneviève Pruvost le 23 janvier 2023.


Maisonner au Faubourg 



En décembre 2022, je découvre la rue du Faubourg. En janvier 2023, je la parcours longeant les maisons dont de nombreuses sont à vendre, jusqu’à une zone maraîchère où serres et cabanes attendent le printemps. Il neige, il est très tôt. Des volets s’ouvrent sur mon passage. Mon appareil photo en bandoulière semble attiser les curiosités. Ce sont des membres de la MJC, habitant·e·s de ce quarter qui m’y ont mené. Je me demande, comment on « maisonne » aujourd’hui au Faubourg. Je propose à quelques personnes de mener l’enquête avec moi à propos des pratiques de subistance passées et contemporaines du quartier. Nous nous rencontrons d’abord à la MJC en janvier et traçons une carte pour y inscrire les lieux dont nous discutons. Il est question de cafés, de lavoirs, d’un étang, de vouivres, de jardins, d’un corbeau. Depuis, d’autres rencontres mensuelles ont eu lieu en marchant, en pique-niquant, en installant une grande table dans la rue pour compléter notre carte. En parallèle, nous rencontrons individuellement des habitantes, fils rouge et mémoires du quartier. 

 
© Marie Preston
 
À la suite d’entretiens (individuels ou collectifs) menés avec des femmes nées à la fin des années 1930 ou au début des années 1940 ayant vécu un quotidien antérieur à l’avènement de la société de consommation, j'ai proposé de travailler à partir de leurs histoires individuelles participant de l’Histoire de la condition féminine dans la seconde moitié du XXe siècle. Il est prévu également de réaliser un jardin flottant dans un lavoir alimenté par un ruisseau résultant d’un bassin versant occupé par des champs de colza cultivés de manière conventionnelle, de créer une série de trois podcasts autour de la figure de la « lavandière » et enfin, de réaliser une série photographique donnant à voir les réseaux hydrauliques du quartier et le processus de création collectif.
© Marie Preston

*

Maisonner au collège 

La résidence au collège Louis Pasteur de Montbard (de janvier à juin 2023) a donné lieu à une exposition inaugurée le vendredi 23 juin 2023 à la MJC. Elle a été réalisée avec les élèves de 5ème, leurs enseignant·e·s et l'aide précieuse des agent·e·s d'entretien, de l'administration et de l'infirmière du collège. 

Cette exposition rend compte d'une enquête autour de la notion de subsistance et de la répartition genrée des tâches qu'elle requiert. Les élèves ont enquêté à l'intérieur du collège et au sein de leur famille. Le processus de travail les a également menés à s'interroger plus globalement sur les rapports entre filles et garçons au sein de leur classe.

 

© Marie Preston
© Marie Preston
© Marie Preston
© Marie Preston