Texte paru dans Mecca Nouement, Le Crédac, 2011 (Extrait)


“Nouement” Marie Preston.

"Pour la mémoire, me dit Albert, il faut manger du poisson et puis, je regarde mon calendrier et la télé et puis je pense."

“Quand Céline Poulin m’a proposé de mener un atelier intergénérationnel dans un foyer logement pour personnes âgées à Ivry, je ne savais pas où je m’aventurais. Cela faisait longtemps que je ne voyais plus mes grands-parents, je ne connaissais pas d’enfants de 8/9 ans et je supposais qu’un « atelier intergénérationnel » signifiait une activité commune à travers un langage commun, difficile. Dans un premier temps, il fallait donc apprendre à se connaître ; ce fut l’enjeu du premier Nouement. Ainsi j’ai proposé aux personnes âgées et aux enfants de se raconter des histoires avec des objets et des images, puis avec des mots. 
La première séance, je suis arrivée au foyer Croizat à 14h par l’allée locative et à travers la baie vitrée, j’ai aperçu, impressionnée, les personnes âgées assises les unes à côté des autres dans l’attente de ma venue. Nous avions prévu une première séance sans les enfants. Quand j’ai décrit le contenu du projet, trois femmes me poussèrent à argumenter, à contrecarrer leurs objections qui concernaient toutes l’attitude supposée des enfants. « Ils sont mal élevés », « ils ne vont pas nous croire », « aujourd’hui c’est bien différent ! Et en moins bien ». Il y a eu la première guerre, puis l’entre-deux-guerres, puis la seconde guerre, puis 68, « trop de choses se sont passées ». « Je suis née en 1934, c’est simple, à 10 ans, nous étions en 44 », « faites leur vivre ne serait-ce qu’un mois ce que nous avons vécu et vous verrez ! » Puis, quand elles ont su qu’il y aurait peu d’enfants, qu’ils viendraient d’eux-mêmes, volontiers, elles se sont adoucies. Pendant la présentation, en écoutant leurs craintes, j’eus peur que personne ne vienne. Finalement, ils sont venus, intrigués. Ils nous attendaient chaque mercredi dans la salle commune. Il y avait Mario qui faisait le bonheur des enfants et sa femme Ginette, Huguette qui devait être à son cours de chorale et qui pourtant fut là chaque fois. Il y avait Claudine qui a dessiné des nœuds et des animaux pendant plusieurs séances. Il y avait la joueuse de belote, Denise, avec son caniche à qui elle apportait chaque fois son panier en mousse. L’heureuse doyenne Louise. Et puis, trois hommes solitaires, Émile le dessinateur hors pair, Albert le joueur de Triominos et Guy l’ancien habitant de Madagascar.”