© Vincent Blesbois / Le Creux de l'Enfer
Un ensemble d'oeuvres réalisé dans le cadre de la résidence à La Borne a été acquis en 2021 par l'Institut d'Art contemporain de Villeurbanne.

Les œuvres constitutives de l’installation 
La Veine / La Borne  ont été réalisées au Centre céramique contemporaine La Borne à Henrichemont. Lors de sa résidence, Marie Preston découvre la glaise prélevée directement dans les forêts des Terres du Haut Berry depuis plusieurs générations. Les nombreux « trous à terre » façonnent le paysage, créent des vallons et des vasques que l’artiste assimile à de formidables terrains de jeux. Sensible à l’histoire des lieux et des pratiques traditionnelles qui s’y perpétuent, l’artiste réalise alors un ensemble de pièces à la frontière entre objets usuels issus de techniques artisanales et sculptures contemporaines.

Omniprésents dans ce lieu international de production de céramiques, les fours, leurs multiples aspects et leurs micro-architectures ont également retenu l’attention de Marie Preston. Elle collabore avec Georges Sybesma, un tourneur installé à La Borne, pour réaliser à son tour, tel un rite initiatique, son propre four-moule. Comme souvent dans l’histoire de la céramique, la forme même du four semble induire celle des pièces qu’il contient en son sein.



 
© Vincent Blesbois / Le Creux de l'Enfer
Penser comme une montagne , exposition collective au  Creux de l'Enfer, centre d'art contemporain et au Château de Goutelas du 6 avril au 17 septembre 2023.



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J’ai rêvé le goût de la brique pilée // 
Commissaires : Natsuko Uchino et Sophie Auger-Grappin // Centre céramique contemporaine La Borne du 15 octobre au 22 novembre 2016 et La Box _École nationale supérieure d’art de Bourges, Bourgesdu 27 octobre au 26 novembre 2016.

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Les Récits de l'insu // Exposition collective avec Guidette Carbonell, Alexis Guillier, Estelle Hanania, Marie Preston, Bettina Samson, Clémence Seilles, Anne-Lise Seusse, Keen Souhlal et Batia Suter. Du 24 janvier au 22 mars 2015 Micro-Onde, Velizy.

 
 
 
Vues de l'exposition "Les récits de l'Insu", 2015
© Aurélien Mole
La Veine  du 14 juin - 22 juillet 2014 au Centre céramique contemporaine, La Borne . Une exposition de Marie Preston avec Monique Lacroix, Claudine Monchaussé et Georges Sybesma. Vernissage le samedi 14 juin 2014, de 18h30-21h
Au dessus de la photographie, oeuvres de Monique Lacroix.
Au centre de l'image, oeuvres de Claudine Monchaussé.
Vue de l'exposition La Veine, Centre céramique de La Borne
© Anouck Durand-Gasselin
Vues de l'exposition La Veine, Centre céramique de La Borne
© Anouck Durand-Gasselin
Vues de l'exposition La Veine, Centre céramique de La Borne
© Marie Preston
La résidence de création à La Borne consiste en un projet de production céramique et d’exposition qui aura lieu au Centre céramique contemporaine. La résidence est portée et mise en place par l’Association des Céramistes La Borne.
Atelier, 24 juillet 2013. © Marie Preston

Performance cuisson des four-moules // Productions de Marie Preston et Georges Sybesma // Samedi 5 et dimanche 6 avril 2014 à 10h-20h

Fours-moules, 5 avril 2014.
© Marie Preston
Vue de l'exposition La Veine, Centre céramique de La Borne
© Anouck Durand-Gasselin
Enfournement dans les fours-moules, 4 avril 2014.
© Marie Preston
Anagama, La Borne, 29 novembre 2013
© Marie Preston

La Veine

 

À l’arrière du Centre Céramique, gît une sorte de boli [1] géant, une forme organique recouverte de terre, percée d’orifices, la gueule ouverte, tout en longueur : un premier four. Dans l’atelier de la poterie Talbot, je découvre un autre four très différent : une voûte faite de briques soyeuses, de la projection de cendres et de sel, un damier architecturé. Je pense à une coque, une barque renversée, on appelle aussi ce type de four : baleine, cachalot. « Le destin d’un travail de plusieurs mois se joue au cours de la cuisson ; le feu doit être guidé, “conduit”, selon des règles en apparence immuables, souvent modifiées selon la saison, la température extérieure, la direction du vent qui exigent du patron-potier responsable de l’opération une connaissance intime non seulement du four et de la matière à cuire, mais aussi de tout un environnement.» [2] Encore à l’heure actuelle, quand un céramiste remplit un four après six mois de travail pour ensuite chercher, tâtonner, expérimenter pendant une cuisson qui elle-même dure plusieurs jours, cela révèle une conception du temps loin de la gestion productiviste. Près du four Talbot, on me raconte qu’au siècle dernier les femmes venaient chercher les braises incandescentes sorties de l’alandier pour alimenter leur foyer. Ces mêmes braises cuisaient à la fois les contenants et les aliments qu’ils contiendraient. Dans le musée de la Poterie, l’exposition des bacs à lessive nous rappelle que le lavage des draps se faisait à la cendre, cette même cendre qui fondait en émail sur ces bacs. Cendres, charbons de bois, les activités de chacun étaient reliées par le feu. Le temps a passé depuis ces pratiques et pourtant, une idée d’autonomie possible du village, retiré du monde, reste sensible. La nature alentour offre la matière première de la céramique dans son cycle complet de production et la vie des hommes semble toujours se construire exclusivement autour de leur fonction, de leur création. Mon séjour à La Borne fut imprégné de cette histoire et les œuvres conçues à cette occasion parcourent un chemin : des contenants aux fours ventrus, de ces visions d’animaux aux trous à terre, de l’histoire du village à l’histoire de ceux qui ont continué de l’écrire quand la poterie était devenue obsolète.

 

Avant de choisir de travailler avec Georges Sybesma, je ne savais pas qu’il avait construit ses « premiers fours à bois dans le jardin familial, avant d’en creuser d’autres au fond d’anciens trous d’obus dans les bois de Saint-Cucufa près de Paris. » [3] Je ne savais pas non plus que « construire son four » constituait une forme d’initiation et que beaucoup étaient déjà passés par là avec plus ou moins d’expérimentations dans le choix des formes et des matériaux. Enfin, je ne savais pas que j’aurais la joie de rencontrer Claudine Monchaussé et Monique Lacroix, toutes deux témoins du « renouveau » de La Borne et chacune porteuse d’une œuvre d’une très grande force.

Habitée par une image qu’elle poursuit, mi-taureau, mi-déesse mère, les sceptres de terre de Claudine Monchaussé m’apparaissent comme un prolongement de son corps. Il faut saisir ses sculptures. Elle me cite Rimbaud, Soleil et Chair, pour me parler de son œuvre. « Je regrette les temps de la grande Cybèle qu’on disait parcourir, gigantesquement belle, sur un char d’airain, les splendides cités ; son double sein versait dans les immensités le pur ruissellement de la vie infinie. L’Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie. » Soucieuse de ne pas trop en dire, elle aurait pu formuler : « se taire, terre », mais, silencieuse, elle me l’a fait lire. Ainsi pourrait commencer le récit de son arrivée à ses vingt ans dans le village : « Il y avait des tas de bois, des tas de pots, des tas de fours partout. » Alors qu’enfant elle ne comprenait pas que l’on puisse partir travailler à l’extérieur pour revenir chez soi le soir, son installation à La Borne lui prouve qu’une autre vie est possible. Elle accompagnera la métamorphose produite par les vingt années de présence d’artistes sculpteurs au côté des artisans tourneurs eux-mêmes héritiers de savants modeleurs de sculptures dites populaires. Et puis elle me décrit les années soixante et l’arrivée de nouveaux fours, les fours à trois chambres, à plus grande contenance que les fours dits « de Sèvres » qui avaient accompagné l’arrivée des Lerat. Ces fours qu’il fallait remplir ce qui mena, de fil en aiguille, au retour du tournage et à une activité rebasculant dans la production.

Avec Monique Lacroix, je discute longuement autour de la grande table en bois de son salon recouverte de ses poules de différentes tailles, variations infinies de formes modelées avec de la terre qu’elle continue de puiser dans son stock des années cinquante. Elle les ornemente de gravures géométriques, elle les rehausse aussi parfois d’une touche ou d’une ligne d’émail bleu. Elle fait ça « pour elle », « ça me fait vivre », me dit-elle. L’année où Jean Lerat arrivait à La Borne, Monique Lacroix avait dix ans. C’était en 1941. Et parce que son père était dans le maquis et que sa mère avait été contrainte par les autorités à partir dans le Gers, Monique avait été envoyée chez les Freinet. Déjà avec ses parents, fervents enseignants et praticiens de la méthode nouvelle, ils correspondaient avec d’autres écoles, imprimaient des journaux scolaires, sortaient découvrir leur environnement et comme tous bons fréneitistes, ils étaient communistes, ils allaient aux congrès de Pâques et en vacances à Vence. Monique Lacroix me raconte par exemple que sa classe correspondait avec une classe du Var et qu’ils recevaient des crabes par la poste au grand désespoir du facteur. Ancienne enseignante des Beaux-Arts de Bourges, durant son cours de couleur, elle préparait des teintures naturelles avec ses étudiantes. « On aurait dit des sorcières », me dit-elle. Héritage qu’elle assume encore aujourd’hui en souriant.

Mes escapades dans la forêt me conduisent aux « trous à terre ». Parfois une motte retournée par des animaux met à nu une terre jaune, ocre, or. La pluie remplit les trous où les arbres se reflètent. Dans le hameau Les Potiers, près du filon, à cinq kilomètres de La Borne, Paul Milhiet, un agriculteur retraité, me fera visiter les trous à terre (avec son accent berrichon, j’entends « trois terres »). Dans les bois, chênes, charmes, châtaigniers, trembles voisinent avec ces trous, ces collines, ces ondulations. Près des puits où était tirée la terre, se trouvent des alcôves au-dessus desquelles étaient plantés des piquets en forme de hutte pour faire un toit de genêts et de bruyères à ceux qui vivaient et creusaient là toute la semaine pour remplir des charrettes que d’autres montaient à La Borne. Les tireux de terre. Ils ont creusé partout au plus près des arbres. Enfant, Paul Milhiet y amenait les chèvres et les vaches. Il n’y jouait pas. Alors que j’y vois un vrai terrain de jeu.

 

La mythologie de La Borne participe d’une multitude d’histoires : celle de la veine de terre, filon pourtant à l’écart du village, des poteries, des bûcherons, des fours « baleines », des trous à terre, du folklore et de Georges-Henri Rivière puis de la guerre, des Lerat et de ceux qui ont plongé tête baissée dans la poésie des forêts et des architectures de saloirs abandonnées dans les champs. Cette histoire, c’est ensuite celle des fours anagamas, des années soixante-dix et de la mode du grès, de Leach, du Japon et de la Corée, du raku… Enfin, aujourd’hui, dans ce village de potiers (pancarte touristique à la clef), les potiers ne sont plus potiers mais céramistes et les styles et les techniques se multiplient. Georges Sybesma me dit que « La Borne est un château fort dont on a oublié le pont-levis » et qu’ici « on est né dans une boule de terre ». Ainsi, retenant la leçon de Hans Arp pour qui il est « plus naturel de broder que de peindre à l’huile » car « les hirondelles brodent le ciel depuis des milliers de siècles », déclarant qu’ « il n’existe pas d’Art appliqué » [4], l’ensemble de l’exposition travaille à l’indétermination entre modelage et moulage, entre utilitaire et sculptural, entre artisanat et art.

 

Marie Preston, avril 2014

 

 

[1] En Afrique de l’Ouest, les boliw sont des objets sacrés qui accompagnent les rituels. Ils sont « de taille et de poids variables ; ils sont faits de centaines d’éléments provenant de la nature (kungo, « brousse ») et de la culture (dugu, « village »). On y trouve, selon les lois de la métonymie et de la métaphore, des fragments à base de terre, de pierre, de minerais, de métal, de bois, d’écorce, de racines, de feuilles, de cuir, de griffes, de crocs, de cornes, d’os, de poils, de sang, de placenta, d’autres substances et humeurs du corps animal et humain. » in Jean-Paul Colleyn,« L’alliance, le dieu, l’objet », revue L’Homme, n° 170, « Espèces d’objets », avril-juin 2004, p. 67.


[2] Jean Favière, «Potiers en terre » du Haut-Berry, Musée du Berry, Bourges, 1962, p.25. [Propos liminaire de Georges-Henri Rivière, conservateur en chef du musée des Arts et traditions populaires.]


[3] Aurélien Gendras, Georges Sybesma, Mondes mouvants, 2011, p. 3.


[4] Hans Arp, Jours effeuillés, poèmes, essais, souvenirs, 1920-1965, Gallimard, 1966, p. 297.



C’est […] à la forme immuable de la jarre, du pot, du vase dont Georges Sybesma tourne et crée les reliefs que Marie Preston s’est intéressée. Cette forme archétypale du contenant s’inscrit dans la filiation des productions utilitaires tournées à La Borne avant l’ère industrielle et dont le céramiste poursuit aujourd’hui la production avec l’idée d’approfondir un travail à la surface des pièces. Par des jeux de peignages profonds, de craquelures provoquées par l’étirement des parois, il travaille la peau des objets en épaisseur avant de les confronter à l’épreuve du feu, quand les oxydes et les minéraux se mélangent à l’argile et prolongent cette transformation des matières dans la glaçure. C’est aussi à  cette étape, lorsque la matière devient hors contrôle, que le processus créatif se poursuit et que les recettes révèlent leurs secrets pour livrer la forme définitive de l’objet.

Vue d'atelier, La Borne, 30 juillet 2013
© Marie Preston
Enfournement, La Borne, 22 octobre 2013
© Marie Preston
Enfournement, La Borne, 27 novembre 2013.
© Georges Sybesma

À La Borne, l’espace du feu est sacré. De nombreux fours à bois apparaissent dans les ateliers et dans le village. Les plus impressionnants sont les anciens fours qui étaient utilisés par les potiers traditionnels que l’on nomme ici « baleines » pour leurs hautes formes arrondies surgissant de la terre et les fours contemporains construits eux aussi en briques mais plus bas et recouverts de terres et de paille brutes qui apparaissent comme de gigantesques contenants dont la peau aurait été inversée. Car c’est en effet à l’intérieur que l’émail est visible et dégouline en couches épaisses des parois.

Musée du Berry, juillet 2013, Bourges.
© Marie Preston
Four Talbot, La Borne, 2013.
© Marie Preston

Le projet du four-moule que Marie Preston élabore avec Georges Sybesma fait fusionner l’idée du contenant avec le four. L’objet modelé et estampé sur la jarre du céramiste, sorte de libre moulage, décompose, inverse sa forme puisque comme le four, c’est l’aspect brut du torchis qui apparait au dehors de l’objet et la finesse de l’émail à l’intérieur. Prolongé d’un alandier et d’une cheminée, il peut en effet être fonctionnel. Ouvert, l’objet est moule et fait apparaître l’empreinte de la jarre tournée. Fermé, il devient four et matrice potentielle, la pièce mère, le ventre, espace de gestation de la forme. Ce four dont la forme originelle est donc la jarre, devient ensuite à son tour un support à l’estampage de nouvelles pièces idéalement utilitaires. Elles sont créées dans un nouveau jeu de moule et de contre-moule approximatif et jouent d’une forme se modifiant au fils des empreintes.


Sophie Auger

La Borne, juillet 2013.
© Marie Preston